Mise en scène, Écriture (narration)
Fidelio
Qu’est-ce qui vous a attiré dans cette oeuvre ?
J’avais travaillé en tant qu’assistante à la mise en scène sur un Fidelio en 2014. Un oeuvre que j’avais trouvée difficile à monter mais dont les moments de grâce de la partition avaient rendu le processus de répétition mémorable. Quand Chorus 14 m’a contactée pour me proposer de travailler sur cet opéra, j’y ai vu l’occasion d’approfondir ma connaissance de la partition et de chercher en quoi elle pouvait résonner chez moi aujourd’hui. En étudiant le livret et la musique, je me suis rendue compte que plusieurs lignes de lecture étaient possibles, mais celle qui m’intéressait le plus et qui me semblait englober l’oeuvre dans son intégralité était celle de la question du courage et de la vulnérabilité au sein d’un monde volontairement déshumanisant - celui de l’univers carcéral décrit par Beethoven. Chaque personnage de cette histoire (inspirée d’un fait réel) doit en effet à un moment donné ou un autre du drame sortir de sa zone de confort et prendre un réel risque - Rocco en s’opposant à Pizarro, Jaquino en déclarant sa flamme à Marceline, Florestan dans son intégrité politique, ou encore Leonore dans sa démarche pour sauver son époux… Même Pizarro décide de descendre lui-même confronter Florestan… cette prise de risque et mise à nu des personnages tout au long de l’oeuvre m’ont permis d’y voir un coeur solide à défendre. Elles m’ont donné les outils pour rendre hommage à ces valeurs porteuses d’empathie et d’humanisme qui me touchent tant chez Beethoven.
Vous avez fait le choix d’avoir recours à une voix de récitante pour remplacer les dialogues parlés du livret original, pouvez-vous nous en dire plus sur cette envie ?
C’est justement pour clarifier la ligne directrice évoquée ci-dessus que j’ai décidé de faire entendre une et même voix qui raconte l’histoire entre les numéros musicaux. Wieland Wagner en avait déjà eu l’idée dans les années 1950 et c’est un procédé qui a fait ses preuves dans d’autres productions qui ont suivi. La voix entendue est dans notre production celle d’une Marzelline plus âgée : choix renforcé par le fait que l’oeuvre commence avec cette dernière (Marzelline est très présente dans les quatre premiers numéros chantés) alors qu’elle perd de l’importance musicale par la suite - pour quasiment disparaître après l’entracte. Dans notre spectacle, Marzelline reste plus présente scéniquement et est entendue tout au long de l’oeuvre, consolidant la structure dramaturgique quelque peu éclatée du livret. Cette « voix qui raconte » permet aussi d’aborder l’histoire par le prisme du souvenir et d’ainsi passer plus aisément d’une scène à l’autre, jonglant avec les différents espaces et temporalités qui se juxtaposent dans le livret.
Quelle a été votre démarche de travail pour préparer les répétitions ?
Après clarification de la ligne dramaturgique qui allait guider la mise en scène, j’ai travaillé avec Carine Ravaud, notre scénographe, pour créer un espace susceptible d’accueillir la structure de poétique intérieure du souvenir de Marzelline, notre récitante. Il fallait par ailleurs nous adapter au théâtre où nous allions jouer : une salle sans coulisses pour un choeur de plus de 60 personnes ! Pour répondre à ces paramètres, nous avons décidé que le choeur serait présent de manière permanente sur scène, derrière des panneaux semi-transparents rendant visible le choeur lorsque nous le souhaitions grâce à des jeux de lumière. Ceci nous donnait l’opportunité de mettre en valeur l’atmosphère étouffante de cette prison d’âmes omniprésentes et injustement incarcérées. En parallèle, nous avons construit avec Elsa Revol, notre éclairagiste, une dynamique lumineuse visant à faire apparaître et disparaitre de manière fluide les personnages, souvenirs oniriques émergeant de la voix de Marzelline. Enfin, nous avons choisi avec Audrina Groschêne une base de costumes intemporels et non-genrés, dont la rigidité et la superposition de couches de tissu répondait à la vulnérabilité ou au contraire aux carapaces émotionnelles revêtues par les personnages : si Pizarro était caché derrière une succession de cuirasses rigides, Florestan, lui, ne portait qu’une chemise souple. Par ailleurs, pour aller au bout de la vulnérabilité de ce dernier, nous avons pris le parti de le présenter comme ayant perdu la vue dans cette obscurité permanente qui l’entoure, cécité qui nous permettait aussi de présenter de manière plus claire sa dépendance vis-à-vis de Leonore pour s’échapper de prison. L’enjeu principal des répétitions qui ont suivi a résidé en la création d’un répertoire chorégraphique de gestes en echo : ces gestes voyageaient d’un personnage à l’autre afin de mettre en valeur la « passation de courage » d’un personnage à l’autre qui scande l’opéra. Cette unité gestuelle permettait par ailleurs de renforcer la dimension de souvenir raconté par une et même mémoire - celle de Marzelline, dont le dernier geste pour Leonore à la fin de l’oeuvre n’est autre que celui que Jaquino a pour elle lorsqu’il lui déclare son amour au début de l’opéra.
Représentations
Théâtre des Deux Rives,
Charenton, France
2023
Mise en scène
Émilie Rault
Photographie
Slimane Lalami
Ich habe Mut!
Distribution
Amelia Feuer : Leonore / Fidelio
Benoît Morros : Florestan
Olivier Gourdy : Rocco
Julie Schoonover : Marzelline
Dominic Veilleux : Don Pizarro
Léo Muscat : Jaquino
Pauline Larrieu : Récitante
Dominique Sourisse : Direction musicale / Orchestration
Émilie Rault : Mise en scène / Écriture (narration)
Carine Ravaud : Scénographie
Audrina Groschêne : Costumes
Elsa Revol : Lumières
Iona Gadawska : Cheffe de chant
OpEra12 : Ensemble orchestral
Chorus 14 : Ensemble vocal
Production : Chorus 14
Crédit photo et vidéo : Slimane Lalami